Metin Celal : L'intranquillité du quotidien
je suis seul, tu es seule, nous sommes seuls
personne ne voit le vide en moi ;
à ce que suscite une adresse déchirée,
au fait d'être loin des battements d'un coeur,
à l'impossibilité de sentir les saisons dans sa respiration, personne ne pense
nous vivons une époque qui ne tolère pas les gens instruits
on ne prend pas au sérieux nos questions
et ne pas être de ce monde ne suffit pas non plus
les jours ont décidé de rester nonchalants
et vous, vous venez, silhouette en robe jaune,
me montrer les lacunes de ma vie
je m'efface en me rapetissant, mon corps s'allège
ma solitude se disperse et croît dans votre voix
à présent, j'écoute seulement le chant des oiseaux
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L'intranquillité du quotidien
quand tu te caches sous la neige
ton corps se pare d'une étrange nuance,
ton sourire, seul et fier,
a un regard de colombe assoiffée
nous étions déterminés à pourrir ensemble
nous allions être complices de tous les délits
tu as disparu du paysage, tu es partie
les rêves n'ont su combler ta place
les yeux clos, des murmures au bout de leurs lèvres
qui sait vers quelle prière ils planent
ces messieurs des vieilles photographies
tout en effaçant nos prénoms des mémoires ou en les écrivant mal
finalement, je me disais qu'en vieillissant je resterais seul
que je me disperserais au milieu des jours doués pour l'amour
avec le désespoir de ceux qui découvrent leurs propres secrets
et que j'oublierais le bourdonnement fatiguant de la vie
un autobus prêt à partir
et un abonnement périmé
ne m'ont pas permis de réfléchir
à ce qui part et passe, sans même pouvoir être un mot
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permutation
lorsqu'elle découvrira le silence en empilant des pierres
l'indifférence tuera les désirs
l'affection contaminera l'amour, le gênera
aux premières lueurs du jour, tu ressentiras le froid de l'eau
comme tous les gens qui s'en remettent à Dieu
tu chercheras la paix en pleurant et en soupirant
en écrivant tes voeux sur de petits papiers
en suppliant les icônes
le changement sur ton visage guidera la lumière
l'eau se cachera dans ton innocence
tu allumeras deux bougies pour la vie et la mort
en prenant part au jeu de ta tromperie
des feuilles précoces tomberont et s'étendront sur les chemins,
l'équilibre de l'été sera gelé,
tu souhaiteras résoudre notre secret en parlant
raconter et dire tout ce que tu ne veux pas dire
le sens s'usera dans notre fatigue, le chemin se prolongera
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conformiste
comme si tout avait déjà été vécu
avant même d'y passer nous connaissions ces chemins
toutes les choses à dire ont déjà été écrites
nos corps refroidis allaient être malheureux
de petits fragments de vie et des détails sans importance
c'était tout ce que nous savions
mais nous ne pouvions rien changer
cette vie allait finir ainsi
après chaque cauchemar en attendant de nous calmer
ne demeurait qu'une phrase à laquelle nous raccrocher
" les enfants mangeurs de feu
mourront avant leurs vingt ans"
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Metin Celal
L'intranquillité du quotidien traduit du turc par Claire Lajus
Voix vives de Méditerranée en Méditérranée
Éditions Al Manar
Juillet 2013