Christophe Mahy : La flamme du seul
CHANDELLE ET SABLIER
A la page des champs
au-dehors
ou contre le mur de la nuit
j'en reviens toujours
à ces voix endormies
au fond de nous
et que l'encre contient
comme un feu sous la neige.
Page 15
Nos pas immobiles
sont au milieu du noir
une lueur vacante
et le poème un amer
qui balise l'obscur.
Page 24
Chaque jour l'aube est là
mortelle ou féconde
ciel brisé
sur la page
où je m'enfuis
de moi.
Page 25
La lumière recommence
à chaque phrase
selon l'ordre attentif
du grand vide
et nous rêvons à des clartés
qu'on ne pressent
que dans l'ombre.
Page 27
Sous la houle du jour
la soif des pétales
abreuve
la marge noire
du monde
où nous sommes dans l'éclipse
ce rien
qui déjà peut éteindre.
Page 28
LE VEILLEUR SOLITAIRE
Ma vie à huit clos
les heures à rebours
qui ne comptent plus
toute cette absence
bien présente
juste pour tenir
une parole
qui ne sauve de rien.
Page 35
De ces rayons
qui passent
la vitre pâle
je tire quelques mots
dont la lumière
n'est qu'une ombre.
Page 42
L'heure calme
dans l'interstice des mots
et puis la page et moi
face au miroir
du nuage et du ciel.
Page 43
Le jardin est sous le ciel
une page éclose
que le hasard visite
un quelque chose
frêle et pâle
que l'hiver oublie
en partant.
Page 46
L'ELAN DU FEU
Il est probable
que l'obscur en vienne
à gouverner le lieu
où le mot déraciné
laisse dans la neige
une lumière absente.
Page 57
Un peu de soleil
pris à la fenêtre
un instant du monde
et de verdure
sans que ne passent
ni l'oiseau ni l'enfant
dans ce jardin
où le nuage
éclôt dans la source.
Page 60
Chaque jour
le ciel sur la ville
la colline et son ombre
l'oiseau alentour
quelques mots de plus
ou de moins
n'empêchent pas le vent
dans les arbres
d'attiser
ce qui reste de nuit
en nous.
Page 61
Alors vient le temps
où écrire n'est plus écrire
et où seul le feu libère
l'âme sans limites
pour peu qu'il reste
assez de nuit à la flamme.
Page 65
L'ABSENCE DE SOI
Ailleurs
jusqu'à l'infini
c'est vers moi que je pars
sans jamais savoir
ce que je suis vraiment.
Page 75
Dans la multitude
je m'oublie et je meurs
d'avoir vécu
sans gains ni pertes
Même brisée
sur le rivage
la vague ne cesse pas
d'être océan.
Page 76
Encore une aube
qui nous parle du monde
tel qu'il est
et qui n'est rien
de ce qu'on en pense
ni splendeur ni abîme
mais simplement cela.
Page 77
Dans l'oiseau
dans le nuage
et la montagne
dans ce reflet
d'eau
parmi l'eau
et dans l'idée
de moi
le vide.
Pour Jangbu
Page 79
Quand je dis je
je sais qui je suis
pourtant
je ne connais
ni ma naissance
ni ma mort
depuis que je dis je
le rêve a commencé
avec moi.
Page 95
La mer au matin
se retire
de la fenêtre
et me laisse seul
regarder
partir ma vie
sur les chemins
libre enfin
des autres
et de moi-même.
Page 103
Christophe Mahy, "La flamme du seul"
Peintures Isabelle Nouwynck
Editions L'herbe qui tremble
Septembre 2014