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Etty Hillesum, Une vie bouleversée suivi de lettres de Westerbork, extraits.

17 Avril 2016 , Rédigé par Sophie Lagal Publié dans #Les Autres-Miroirs et moi

Etty Hillesum.
Etty Hillesum.
Mardi 26 août au soir. Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois, je parviens à l'atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour.
Il y a des gens, je suppose, qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d'eux. Il en est d'autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes.

Page 55.


3 Juillet 1942. Ah, nous avons tout cela en nous : Dieu, le ciel, l'enfer, la terre, la vie, la mort et les siècles, tant de siècles. Les circonstances extérieures forment un décor et une action changeants. Mais nous portons tout en nous et les circonstances ne jouent jamais un rôle déterminant : il y aura toujours des situations bonnes ou mauvaises à accepter comme un fait accompli--ce qui n'empêche personne de consacrer sa vie à améliorer les mauvaises. Mais il faut connaitre les motifs de la lutte qu'on mène, et commencer par se réformer soi-même, et recommencer chaque jour.

Page 145.


Samedi 11 Juillet 1942, 11 heures du matin. On ne peut parler des choses ultimes, des choses les plus graves de cette vie que lorsque les mots jaillissent de vous aussi simplement et naturellement que l'eau d'une source.

Page 169.


A quoi me mettrai-je réellement, je me le demande, si j'avais en poche mon ordre de réquisition pour l'Allemagne avec la perspective du départ dans une semaine ?
Suppose que cette carte arrive demain : que ferais-tu ? je commencerais par n'en dire rien à personne, je me retirerais dans le coin le plus silencieux de cette maison, je rentrerais en moi-même et rameuterais mes forces des quatre points cardinaux de mon corps et de mon âme. Je me ferais couper les cheveux à la garçonne et je jetterais mon rouge à lèvres. J'essaierais, durant cette semaine, de terminer les lettres de Rilke.

Page 170.


Rilke a décidément été l'un de mes grands maîtres de l'année écoulée, chaque instant m'en apporte la confirmation.

Page 224.


On voudrait être un baume versé sur tant de plaies.

Page 246.


A Maria Tuinzing. Westerbork, Samedi 10 Juillet 1943.


Maria, bonjour,
Des dizaines de milliers de gens ont quitté ces lieux, habillés ou nus, vieux ou jeunes, malades ou bien-portants et j'ai continué à vivre et à travailler en toute sérénité.
Ce sera bientôt le tour de mes parents de quitter le camp. Si par miracle, ils ne partent pas cette semaine, ce sera pour l'une des semaines à venir. Cela aussi, je dois apprendre à l'accepter. Mischa veut partir avec eux, et il me semble après tout que cela vaut mieux : s'il reste ici et les voit s'en aller, sa raison en sera ébranlée. Moi, je ne pars pas, je ne peux pas. Il est plus facile de prier de loin pour quelqu'un que de le voir souffrir à vos côtés. Ce n'est pas la peur de la Pologne qui m'empêche de partir, mais la peur de les voir souffrir. Une forme de lâcheté, quand même.
Les gens ne veulent pas l'admettre : un moment vient où l'on ne peut plus agir, il faut se contenter d'être et d'accepter. Et cette acceptation, je la cultive depuis bien longtemps, mais on ne peut le faire que pour soi, jamais pour les autres.
C'est pourquoi ma situation est si désespérante en ce moment. Maman et Mischa s'entêtent à vouloir agir, à remuer ciel et terre, et je suis impuissante à les assister. Je ne puis rien faire, je n'ai jamais rien pu faire, je ne puis qu'assumer et souffrir. C'est toute ma force, et c'est une grande force. Mais pour moi, pas pour les autres.

Page 299.


A Christine Van Nooten. Près de Glimmen
Mardi 7 Septembre 1943.
Cachet de la poste : 15 Septembre 1943. 

Christine, j'ouvre la Bible au hasard et trouve ceci : "Le Seigneur est ma chambre haute." Je suis assise sur mon sac à dos, au milieu d'un wagon de marchandises bondé. Papa, maman et Mischa sont quelques wagons plus loin. Ce départ est tout de même venu à l'improviste. 
Ordre subit de La Haye, spécialement pour nous. Nous avons quitté ce camp en chantant, père et mère très calmes et courageux, Mischa également. Nous allons voyager trois jours. Merci de tous vos bons soins. Les amis restés au camp vont écrire à Amsterdam, peut-être te fera-t-on suivre ? Peut-être aussi ma dernière lettre ?
Un au revoir de nous quatre.

Etty.



Etty Hillesum est née à Middlebourg, en Zélande en 1914 et est décédée en 1943 dans un camp de concentration polonais.
 
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