Être ici est une splendeur : Vie de Paula M. Becker
Le journal de Paula s'interrompt. Restent les lettres. Quand elle écrit, c'est souvent que les circonstances l'empêchent de peindre, et elle parle de ça : du manque, et de la pulsion.
Elle se moque un peu du coquet Vogeler qui geint de voir partir ses toiles. Elle, qui ne vend rien, écrit que " l'art, comme abondance et naissance perpétuelle, n'est dirigé que vers l'avenir ".
Les tableaux existent. Ils se suffisent. Elle les décrit peu. Parle peu de son art.
Clara, après la mort de son amie, évoquera ce silence : " Peut-être lui était-il impossible d'articuler ces choses de façon compréhensible -- cette expérience était peut-être si indicible pour elle que sa seule expression était une transformation dans son propre
travail ". Et puis : comment écrire les tableaux ? On peut décrire leurs traits, leurs formes,
l'opposition de leurs couleurs. On peut les commenter, les critiquer. On peut en faire
l'histoire et les mettre en contexte. Mais les écrire ? L'espace bée entre les mots et les images. De la faille montent des projections, des rêves. Ces années-là, à Giverny, Monet
commence sa série des Nymphéas, passerelles sur l'eau et plantes flottantes, lumière.
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Marie Darrieussecq
Éditions P.O.L
Mars 2016